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Performance web : une étape vers l’éco-conception

Comment réduire notre empreinte et notre impact sur l’environnement ? C’est une question que nous avons en commun avec Thomas Lemaire, développeur fullstack depuis près de 20 ans, et membre du collectif GreenIT. Loin du green washing, nous avons voulu en savoir plus sur les piliers de l’éco-conception, et comment la web performance peut y contribuer.

Fasterize : Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre le collectif GreenIT ?

Thomas Lemaire : A titre personnel, je suis sensible aux questions liées à l’environnement, à la préservation des ressources et au développement durable, et je souhaite nourrir la réflexion et apporter des solutions également en tant que professionnel. Le collectif a été fondé en 2004 par Frédéric Bordage, et je l’ai rejoint « officiellement » en 2019. J’y développe une expertise sur la mesure de l’impact du numérique sur l’environnement, et j’interviens auprès des pouvoirs publics, des collectivités territoriales et du grand public pour sensibiliser à l’impact du numérique sur l’environnement. Cet impact se mesure évidemment à court terme, et à long terme pour les ressources non renouvelables.

En effet, nous devons préserver les ressources liées au numérique car dans 1 à 2 générations, nous serons confrontés au problème de la rentabilité des mines de métaux qui servent à fabriquer les équipements dont nous nous servons au quotidien, entre autres pour aller sur internet.

C’est pourquoi nous devons nous diriger vers la sobriété en matière de consommation d’énergie et de ressources naturelles, c’est la pierre angulaire de notre démarche pour réduire à la fois notre empreinte écologique et économique.

Fasterize : Quels sont les enjeux de l’éco-conception et comment la mettre en oeuvre ?

T. L. : L’éco-conception doit intervenir sur le plan des services numériques dans leur ensemble, et pas seulement sur le plan du développement logiciel. Un logiciel est immatériel, et il change l’état du matériel. C’est pourquoi un logiciel ne peut pas être éco-conçu de façon isolée, c’est le service entier qui doit l’être. C’est-à-dire qu’il faut penser en plus aux terminaux, aux réseaux et aux serveurs, et à leur cycle de vie. C’est un ensemble. 

Par ailleurs, il faut avoir en tête que pour réduire notre impact sur l’environnement, les gaz à effet de serre ne sont pas l’unique enjeu environnemental. Le numérique est également responsable de l’acidification des océans, d’une consommation d’eau colossale et de son eutrophisation, de l’émission de composants toxiques pour l’air et les sols… 

Ainsi, le climat est au centre de l’attention, et c’est très important, mais l’eau douce est souvent oubliée alors que son manque engendre des tensions dans certaines régions du monde.

Par exemple au Chili, les mines d’où est extrait le cuivre qui sert notamment à la fabrication de matériels informatiques consomment 2000 litres d’eau par seconde. En conséquence, les habitants des villes alentour ne peuvent pas prendre de douche tous les jours, et les cours d’eau sont pollués.

Au Texas, Google a un projet d’installer ses serveurs dans un datacenter, mais ce serait 10 % de l’eau du comté qui devrait être consacrée à ce projet de datacenter, ce qui entraîne des tensions avec les agriculteurs et plus généralement les habitants.

Alors, une fois le constat des impacts environnementaux du numérique établi, il ne tient qu’à nous de les réduire ! Et aller vers plus de sobriété est une étape indispensable si nous voulons préserver nos ressources et notre environnement.

Fasterize : Si en matière d’éco-conception, la sobriété est la clé, comment agir concrètement ?

T. L. : La sobriété est en effet fondamentale pour l’éco-conception. En pratique, il s’agit par exemple d’allonger la durée de vie des appareils ; et du coup, l’utilisation d’un service doit être possible avec des terminaux anciens, sinon les utilisateurs vont vouloir en changer.

Si un site internet est gourmand en ressources, son utilisation est potentiellement frustrante voire impossible pour les possesseurs de mobiles anciens ou d’entrée de gamme. Et là aussi, ces utilisateurs auront envie de changer de mobile parce que ça rame. Donnons-leur envie de conserver plus longtemps leur ordinateur ou leur mobile avec des services qui demandent moins de ressources !

Diminuer les ressources réseau va également dans le sens de l’éco-conception. Si un site web fonctionne avec de la 3G, son utilisation sera possible avec d’anciens mobiles. De plus, des services qui consomment peu de bande passante réduisent le risque de saturation des réseaux, et donc le besoin de mettre en place d’autres réseaux en les superposant pour délivrer ce service.

Fasterize : Quels sont les leviers et les piliers de l’éco-conception ? La web performance en fait partie ?

T.L. : Les leviers sont nombreux. Et bien sûr, la web performance est une étape vers l’éco-conception. Le fait d’optimiser les fichiers (HTML, JavaScript, CSS, images…) en réduisant leur taille fait que les terminaux, les serveurs et les réseaux sont moins sollicités. Servir un site web performant avec un code optimisé, des images compressées… fait partie des bonnes pratiques, et cela va dans le bon sens. Des sites web éco-conçus ont de grandes chances d’être performants puisqu’ils appliquent les principes de la sobriété. 

Mais ne vous arrêtez pas en si bon chemin ! Pour que la démarche soit complète, il faut avoir en tête les 3 piliers de l’éco-conception :

  • simplicité (des fonctionnalités), 
  • frugalité (ne proposer que ce qui est utile),
  • pertinence (accessibilité web, réseau, utilité et usabilité, performance). 

Si un service (site internet ou application), même conçu pour être performant, n’est pas pertinent, l’utilisateur risque d’allumer son ordinateur ou son mobile pour y accéder, et les infrastructures construites pour délivrer ce service seront sollicitées… pour rien. En effet, si l’expérience n’est pas satisfaisante ou pas pertinente, l’utilisateur quittera le service sans l’avoir utilisé. Ce sont alors des ressources et de l’énergie gaspillées, et c’est justement ce qu’on cherche à éviter dans le cadre d’une démarche éco-responsable. Il faut donc observer un service dans sa globalité, à la lumière des 3 piliers de l’éco-conception.

Fasterize : Cela voudrait dire que même en voulant être responsable, si on oublie une étape, on peut aller dans le sens inverse de l’éco-conception ? 

T. L. : Malheureusement oui, et je vais vous donner quelques exemples. 

Dans le cadre de l’utilisation de sites web, si toutes les ressources sont chargées côté navigateur, certes le réseau et les datacenters sont déchargés. Mais si une page web lourde abuse du stockage local, on peut alors atteindre une limite avec un navigateur qui va se mettre à ramer et donc, une sensation de lenteur. Tout l’inverse de l’effet recherché !

Si on se concentre sur la web performance, un site internet peut avoir un très bon temps de réponse serveur (TTFB), mais cette vitesse de chargement peut être le résultat d’un sur-équipement côté infrastructure, soit l’opposé de la frugalité.

En outre, la vitesse de chargement peut être optimisée grâce au lazyloading, mais si le navigateur charge des données qui ne sont pas utiles en arrière-plan, c’est encore du gaspillage de ressources.

Vous l’aurez compris, se limiter aux données strictement nécessaires est central pour rester frugal. Et il n’y a pas que les données à charger, il y a aussi celles à stocker. Je fais ici référence au tracking. Il est essentiel, mais souvent, quand on creuse, on se rend compte que beaucoup de données sont recueillies mais il n’y a pas d’utilisation ensuite. Encore du gaspillage.

L’éco-conception implique donc d’observer en permanence tous les facteurs pour éviter les transferts d’impact !

Fasterize : Dans le fond, c’est un véritable numéro d’équilibriste. Comment s’assurer de la pertinence et de la cohérence d’une démarche d’éco-conception ?

T. L. : Dans le numérique, les actions à mener en faveur de la préservation de notre environnement sont nombreuses : limiter les gaz à effet de serre, préserver les sols, l’eau, l’air, les ressources…  Comme je le disais, il faut avoir une vision profondément systémique pour cocher toutes les cases, et surtout éviter de tomber dans les pièges simplistes. 

Par exemple, je faisais remarquer qu’en matière de préservation de l’environnement, il n’y a pas que les gaz à effet de serre. Eh bien pour un service éco-conçu dans le numérique, il n’y a pas que la consommation électrique à réduire. C’est un indicateur parmi d’autres, il faut également se poser la question de la provenance des ressources en énergie.

Aussi, on peut remplacer les équipements d’un datacenter pour plus d’efficacité énergétique, mais ça ne veut pas dire que le service en tant que tel sera alors “green”, pour les raisons que nous avons vues un peu plus tôt. Malheureusement, beaucoup d’entreprises s’arrêtent à cette étape, et s’en satisfont comme argument marketing et pour redorer leur image, alors qu’elles n’ont fait qu’une partie du chemin.

En ce qui concerne les ordinateurs, les mobiles, et de manière générale, tous les équipements numériques, la lutte contre l’obsolescence programmée se met en route. Mais encore une fois, il faut prendre en considération tous les aspects de ce qui peut entraîner l’obsolescence d’un appareil.

Je vais vous donner l’exemple d’un magasin dont les vendeurs étaient équipés de téléphones mobiles. La batterie de ces smartphones ne tenait pas la charge, et l’entreprise a décidé de remplacer tout le parc par des modèles offrant de meilleures performances, mais en se basant uniquement sur le critère d’autonomie de la batterie. Sauf que ces mobiles, en dehors de leur batterie, n’étaient ni durables, ni réparables !
Ainsi, au bout de 2 années seulement, les mobiles tombés en panne n’ont pas pu être réparés et ont dû à nouveau être remplacés. Ce gâchis aurait pu être évité si l’ensemble des critères de performance et de durabilité avait été pris en considération, et pas seulement l’autonomie.

Pour ne pas tomber dans ces écueils, nous travaillons avec GreenIT pour pousser des recommandations auprès des pouvoirs publics telles que la séparation des mises à jour correctives et évolutives, l’allongement du support des appareils et des logiciels et donc leur durée de vie… Bref, tout ce qui permet de diminuer l’impact du numérique pour que les générations futures puissent en profiter.

Et au-delà de la réduction de la consommation d’énergie et de ressources, l’éco-conception favorise aussi l’inclusivité ! Moins on a besoin de ressources pour accéder à un service, plus les utilisateurs peuvent en profiter malgré des contraintes réseau ou matérielles. 

Alors, plutôt que de se demander ce qui va arriver, autant se demander ce que nous avons déjà à portée de main !

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